Le 12 juin
Notre Président de la République vient de dissoudre l’Assemblée Nationale après en avoir bafoué le rôle par le recours immodéré à l’article 49-3 qui avait réduit son rôle à néant. Le coup de grâce a été porté ce dernier week-end.
Il se trouve que parmi la moitié de mes compatriotes qui ont voté lors des récentes élections européennes, plus de 30 % ont choisi le Rassemblement National, parti raciste et xénophobe fondé par d’anciens partisans de l’Algérie française dont quelques uns avaient revêtu -mais c’est il y a fort longtemps – l’uniforme de la waffen SS. S’ajoutent à ce petit tiers les presque 6 % qui ont choisi un parti plus extrémiste encore, qui veut par exemple interdire les prénoms d’origine non chrétienne ou non française...et, il faut bien le déplorer, s’ajoutent les 7 % qui ont voté pour le parti de droite traditionnelle, dite « de gouvernement », dont la tête de liste préconise de construire un mur tout autour de l’Union Européenne pour lutter contre une insupportable immigration clandestine. Cette tête de liste vice-préside ledit parti – créé lui dans la lignée du gaullisme et du chef de la Résistance – dont le président (monsieur Ciotti) vient de proposer ce 11 juin une alliance avec le Rassemblement National naguère issu de l’OAS, de l’antigaullisme et de l’antiparlementarisme. Confusion générale, brouillage violent des repères remplacés par un amoncellement d’intérêts individuels, querelles et vindictes assassines.
Ce déferlement de haine souvent délirante relève de la liberté de parole et d’opinion (présentée comme une pensée), qui permet à cette droite de se présenter comme « décomplexée ».
J’en déduis que pour ces gens-là, la retenue et la réflexion historique ne relèvent pas tout simplement de la rationalité mais d’un vague complexe qu’il s’agirait de dépasser pour la plus grande gloire de la nation et le bonheur bruyant des individus qui s’en émancipent. Plutôt que « décomplexée », je dirais pour ma part « dévergondée » : vieux mot n’est-ce pas, et qui sent son jugement moral, cependant cela ressemble bien à ce prurit adolescent où l’on se glorifie de faire ce qui ne se fait pas : on casse des librairies, on brûle des livres, on cogne des « pas comme nous »...Dans cette acception, nul n’est besoin d’appartenir à un parti de droite extrême pour se dévergonder sans risque ni surmoi : un ministre de la justice peut faire des bras d’honneur aux représentants de la Nation, ça fait le buzz sur les réseaux et rien de plus. Un simple présentateur TV peut insulter un député, cela vaut argument.
Et plus le politique se discrédite, plus c’est fun.
Restent les contre-pouvoirs : principalement justice et presse. La justice, malgré son garde des sceaux, a des sursauts grâce à d’intègres desservants. Rares et ralentis par des obstacles multiples que dresse une procédure encore garante des libertés individuelles, mais dévoyée. Sursauts tout de même. La presse pour sa part, celle de large diffusion, a depuis des décennies été achetée par des patrons d’industrie et de finance devenus donc patrons de presse par opportunisme. Plusieurs ne cachent pas leurs sympathies pour l’extrême-droite, certains fabriquent ou soutiennent des hommes providentiels, sombres sauveurs sortis du néant. Des journalistes sont licencié.e.s, des émissions audiovisuelles supprimées, il convient de se soumettre ou de se démettre. Seule une très marginale presse indépendante fait un réel travail d’enquête à partir de faits vérifiés : le reste est propagande. Il se trouve que dans cet effroyable panorama, ce qui subsiste du service public d’information (avec toujours moins de moyens publics et toujours plus de fonds privés pour fonctionner) pratique l’autocensure afin de rester dans la ligne. Retour de la chasse aux sorcières.
Ainsi, toutes les sottises peuvent devenir formules et frapper l’opinion : l’hémicycle des assemblées est remplacé par un « arc républicain » hors sol et hors réalité : les tenants d’un État français fort peu républicain en font partie, alors que des forces jugées trop à gauche en sont exclues. Pourquoi jugées trop à gauche ?
Parce que partisanes d’un « islamo-gauchisme » qui n’existe pas (notion sans fondement puisqu’elle associe une dérive politique de la religion musulmane sans représentation en France à une mouvance indéfinie d’une gauche groupusculaire) mais dont on les accuse.
Parce que ne souhaitant plus ignorer dans le pays riche qui est le nôtre, les plus de 5 millions de chômeurs officiellement répertoriés, ni les 3 millions de personnes sans logement (sans abri ou disposant d’abris sommaires, précaires, dits hébergements de fortune – drôle d’expression), ni encore les 15 % de français.e.s vivant sous le seuil de pauvreté.
Parce que refusant le démantèlement du projet de société relativement solidaire issu du Conseil National de la Résistance et assurant à chacun.e une couverture sociale et médicale – même rapiécée la couverture – et des conditions d’instruction – fussent-elle peu égalitaires.
Accompagnant la casse généralisée de la République transformée en start-up, un déchaînement d’injures, de mensonges, de propos à l’emporte-pièce qu’aucune donnée ne vient étayer, déferlent sur les ondes et les réseaux sociaux. Ce défoulement généralisé a pour l’heure remplacé « les lumières de la raison » ringardisées en tant que vieilleries cosmopolites universalistes : mieux vaudrait camper chacun dans l’entre-soi d’un pré carré enclos de barbelés, où prisonnier volontaire de son identité factice (pure!) chacun.e pourrait clamer son mépris et sa haine du pré voisin. Mieux vaudrait parait-il que sous les vociférations belliqueuses chacun.e s’emploie à creuser sa tombe sur son coin de pré…
« o bury me not on the lone prairie ».