Du 9 au 11 mars
1er volet :
souvenirs anciens ressuscités au lendemain de la journée internationale des droits des femmes.
Lorsque
je portais ma fille sur le ventre, dans son porte-bébé kangourou,
les passants des rues piétonnes d’alors se retournaient sur moi comme sur une curiosité venue d'une autre planète.
Lorsque trop vite après, je suis allé la chercher à l’école…
maternelle (pardon : pré-élémentaire), j’ai dû affronter
les mamans, les tatas et les nounous qui se précipitaient pour l’habiller à
ma place.
« oh la pauvre petite »
« oh la pauvre
bichette »
étaient des expressions lancées à ma barbe,
tandis que les mains expertes des professionnelles du maternage
boutonnaient le manteau, fermaient en un éclair l’anorak de ma
fillette criant « papa ».
Devais-je
m’expliquer, me fâcher devant toutes ces bonnes volontés qui ne
me reconnaissaient pas le droit de choyer mon enfant ? Qui n'admettaient pas que je m'occupe d'elle, que je sache faire ?
C’était
il y a longtemps et j’étais convaincu d’aller, quoique chahuté,
dans le sens de l’Histoire : bientôt presque tous les hommes non seulement
partageraient les tâches dites domestiques, mais ils pourraient
aussi témoigner de tendresse envers leurs enfants (voire d’autres
que les leurs), sans être écartés des échanges affectueux
réservés aux dames.
Quelques
décennies plus tard, je vois que les mouvements féministes
et plusieurs partis politiques réclament non seulement l’égalité des revenus pour un même
travail, et luttent contre les « plafonds de verre » qui
touchent toutes les populations discriminées, mais aussi s’élèvent
contre les violences physiques et verbales subies par les femmes ou les enfants, ou des minorités de genre ou ethniques racisées, tandis que les
vocables « pédé » ou « fiotte » que je
croyais réservés aux archives continuent à agresser –
souvent avant passage aux coups, aux viols, etc.
Quelles
forces nous ont ramené à ces comportements archaïques alors même
que, dans le même temps et malgré les cris d'orfraie traditionalistes, la loi élargissait et défendait les droits humains à toustes les
citoyen.ne.s ?
Et
l’éducation dans tout ça ? Qu’attendent les nounous, tatas
et mamans, de leur rejeton.ne.s ? Les veulent-iels joli.e.s ? Dégourdi.e.s ? Volontaires ? Costaud.e.s ? Déterminé.e.s ? Bien trempé.e.s de caractère et ne s'en laissant pas compter ? Dociles ou obéissant.e.s ? (Je sais bien que c'est à peu près la même chose, mais l'usage comme la charge positive ou négative de ces deux mots n'est pas la même). En vue de quel devenir adulte les familles et leurs substituts élèvent-elles les fillettes et garçonnets ? Pour être chef.fe.s ? Milliardaires ? Libres face aux autres, ou pour être soi-même ? Solidaires ? Gagnant.e.s, battant.e.s, conquérant.e.s ? De quoi (de territoires ennemis, de parts de marché, de bons revenus ou autres choses...) ?
2ème volet :
Certitudes et interrogations sur une
question d’actualité
Hier
la cérémonie des Césars a brui du discours de Judith Godrèche
(mon correcteur orthographique ne me propose hélas que Godiche)
comme l’an passé la Croisette avait murmuré des honnêtes propos
de Justine Triet qui craignait pour la liberté de création :
pas assez soumise, la madame, pas assez remerciante des honneurs
imprévus qui lui étaient consentis, trop partisane et politique, en
un mot trop pensante, trop mal pensante, et si l’homme est un
roseau pensant (hommage intéressé de Pascal à Descartes ?), la
femme doit-elle l’être ?
Mais
ne nous égarons pas de parenthèse en parenthèse : hier soir,
Judith Godrèche a mis les points sur les i et voulu susciter, enfin,
une réaction claire des milieux cinématographiques contre les
violences faites aux femmes. Elle ne l’a pas pleinement obtenue :
le silence dans la salle était pire qu’à l’exclusion de Garaudy
du PCF (mon correcteur ortho qui ignore Garaudy propose « maraud »).
Je
ne sais pas s’il est possible de parler d’un tel sujet sans être
immédiatement rangé dans la catégorie des pour ou des contre, des
libérateurs ou des fachos machos, des progressistes humanistes ou
des réacs patriarcaux : essayons.
Pour
ma part, il ne m’est arrivé qu’une fois de subir contre ma
volonté des attouchements : j’avais presque 18 ans, un
agriculteur m’avait pris en stop près d’Aléria et commença à
me poser la main sur la cuisse et la pétrir un peu. J’ai
rapidement demandé à descendre et son entreprise (muette) s’est
arrêtée là : il n’y a pas eu de véritable menace,
d’agression aboutie, c’était un rien, une futilité. Mais je me
la rappelle assez clairement des décennies plus tard, comme une
réelle agression sur ma personne, qui provoqua sur le coup un
mal-être blessant sur lequel je ne mettais pas de mots.
Partant
de ce « rien » qui m’a marqué précisément parce que
ce n’était pas rien, j’en perçois la disproportion par rapport
à des relations sexuelles imposées sous une quelconque menace.
Comment vit-on dans un monde où l’on peut difficilement dire non,
où même on ne le peut pas du tout, où la seule alternative réside
dans la fuite (et l’abandon des espérances) ou la soumission ? Qu'un tel monde soit condamné après que les contraintes qu'il impose aux victimes ont été révélées, voilà qui réjouis, ou du moins qui soulage.
Toutefois, ce principe intangible rencontre parfois des circonstances moins nettes, qui ne sont pas nouvelles : Musset déjà évoque les familles qui, dans la Florence du XVIème siècle, comptent sur la jeune fille de la maison pour leur valoir une promotion sociale, ou quelques ducats pour les plus pauvres (Lorenzaccio, III, 3). L'espoir du succès auprès d'une 'vedette' ne peut-elle conduire à de telles stratégies ? La personnalité en vue ne doit pas céder, bien sûr, mais là n'est pas la question. La question serait : que vaut la notion de consentement chez un.e admirateur.ice. qui escompte faire carrière ? Qui démêlera lucidement entre le consentement et la pression,
l’insistance à quoi l’on cède ? Saluons à cet égard les fonctionnaires de police et de justice qui
s’emploient à distinguer le
vrai d’avec le faux dans des circonstances contradictoires et obscurcies. La majorité est depuis un demi-siècle établie à 18 ans, il est question de l'abaisser à 16 : que vaut le consentement d'un.e adolescent.e de 16 ou 18 ans lorsque les enjeux, affectifs ou autres, sont pressants et peu clairs ?
Que le principe du consentement demeure la base d'une relation sexuelle, c'est le point d'appui indispensable. Mais il apparait que cette exigence même n'est pas aussi limpide que l'on voudrait.
Cependant une autre question me tarabuste, moins légale que physiologique : celle des appétits – et de la
prétention à honorer la personne que l’on force ou contraint de
quelque façon. Dans un passé pas si lointain où la bourgeoisie
officiellement puritaine s’amusait des frasques prêtées aux
artistes (célèbres) – nombreux mariages de telle star
hollywoodienne ou aventures extra conjugales d’acteurs ou de
chanteurs – dans un passé proche, donc, tel ou telle avait la
réputation d’être un tombeur, un Dom Juan, ou une grande
amoureuse, une croqueuse d’hommes, etc, pour reprendre des
expressions désuètes qui furent populaires. Des stars fragiles
connaissaient des épouses ou des maris successifs, des amant.e.s
kleenex et vivaient entourés d’adorateurices (d’aides-éducatrices
suggère mon correcteur) : Ô combien de groupies se sont
offert.e.s aux musiciens pop (après avoir jeté leur soutif sur les
scènes internationales ou remis un coup d’eyeliner dans les bals
de villages), combien de soupirant.e.s ont suivi leurs tournées et
se sont évanoui.e.s dans l’extase de leur sueur ? Combien ont
ainsi devancé les caprices de l’idole ? Je me demande dès lors où les heureux récipiendaires de ces hommages (ce sont pour la plupart
des hommes) trouvent le désir de forcer d’autres partenaires
potentiel.le.s ? Où puisent-ils la conviction que
leur désir est un honneur pour chaque passant.e qui croise leur
chemin ? On évoquera la fatigue et le relâchement des road
trips et jet lag. Surmenage et décompression. L’excitation mêlée
à l’abandon après la performance scénique. La solitude de longs
et lointains tournages. Certes. Je reste cependant surpris par la
boulimie que supposent
de tels comportements. Et comme nous l'a montré un ancien ministre, cela reviendrait à se
servir d’autres personnes humaines,
des personnes
de compagnie en
quelque sorte,
comme de la serviette éponge que les ramasseurs de balles glissent
aux champions des courts, vite fait bien fait pour leur faire du bien sans
déranger leur concentration. C’est alors en contradiction avec le
rêve, le fantasme de midinet(te) envers les stars (du
sport, du cinéma, de la politique ou du barreau, de n’importe quoi) : y a-t-il beaucoup de
personnes pour désirer se mettre entièrement au service d’un.e
autre, même adulé.e ? Sainte Véronique peut-être, qui avait
l’air de s’y connaître en serviettes éponges ?
Le
principe du consentement revient alors au premier plan, sa nécessité
est confortée, mais suffit-elle ? Peut-on consentir librement
et amoureusement à une servitude ? A être la chose d’un.e
autre, à en devenir l’esclave par choix ? J. Brel a chanté
« Laisse-moi devenir / L’ombre de ton chien » (Ne
me quitte pas) :
version romantique d’un thème qui l’est beaucoup moins dans des
écrits érotiques sadiens, tels Histoire
d’O
ou les Carnets de
Laure :
qu’y a-t-il derrière le désir tant admiré et décrié à la fois
d’appartenir totalement à quelqu’un ? Cela a-t-il du sens ?
Quant aux personnes (intelligentes) qui ont figuré ce fantasme dans
leurs écrits, ou tenté de le vivre, qu’exprimaient-elles derrière
ces mots qui pour moi sont un complet non-sens ?
Mais
laissons la souffrance et la perte de soi érigées en œuvre d’art.
Ce qui émerge avec le mouvement #me too c’est, compte-tenu
des plaintes déposées ou à venir, la remise en cause d’un monde
où le talent -la valeur peut-être- se confond avec la puissance. La
fin des êtres qu’un langage commode prétend irrésistibles. Malgré
ses ambiguïtés, le consentement constitue une bonne base pour faire
place aux simples égards que l’on doit à une autre personne –
ce qu’avait bien compris malgré son peu de langage, et bien qu’il
m’ait si fort déplu, mon vieux conducteur d’Aléria.
Le
monde des arts, des lettres, des sports ou même de l’entreprise,
monde de gagneurs qui fait tant de perdant.e.s, devrait pouvoir le
comprendre aussi.
Ceci
établi, il resterait ensuite à transformer nos mentalités afin
qu’en aucun cas, l’exercice d’un pouvoir ou d’un talent
n’exerce une fascination telle qu’y soit associée érotisme ou
héroïsme : vaste programme qui remet en cause l’éducation, le patriarcat
évidemment mais aussi le train du monde et sa culture
dominante, la valeur marchande des objets et des corps réifiés,
bien d’autres choses encore qui depuis pas mal de millénaires sont
entrées dans notre inconscient collectif. Mais je crains si mon
propos
bifurque vers ces tâches futures de m’égarer dans les sophismes.
N’envisageons
donc, pour l’instant, que le principal :
-
pas de rapport au corps de l’autre qui ne soit consenti.
-
indistinction entre la volonté d’un homme et la volonté d’une
femme (ou de tout autre personne tel.le qu'iel se déclare : voir infra) sans que l’une volonté prime sur l’autre.
-
même indistinction en ce qui concerne la parole d’un.e supérieur.e
et d’un.e inférieur.e hiérarchiques , ces distinctions
« d’établissement » n’ayant de pertinence (que l’on
peut discuter par ailleurs) que dans le cadre professionnel auquel
l’autorité établie doit se limiter.
D’abord
rien que cela, qui
serait déjà l’accès à un monde nouveau...
Un
monde futur qu’il serait bon de mettre d’urgence sur ses rails,
sans quoi la juste exigence de #me too va se limiter à une
multiplication toujours plus abondante de dénonciations, donc de
procès, sans que les rapports sociaux entre humains évoluent d’un
iota. Et l’exigence de justice n’aura abouti qu’à un nouvel
ordre moral, nouveau Maccarthysme ouvrant la chasse aux sorciers.
3ème volet : du zèle extrémiste en éthique à la mode
Chasse aux sorcier.e.s d’autant plus féroce et
sans fin que l’exigence de respect dû à toustes, lorsqu’elle
devient championnat de pureté, connaît ses
extrémistes sans bornes, comme le montre ce § lu avant-hier dans un blog
:
« Le
8 mars : journée internationale des droits des femmes ? Seulement ?
Qu'en est-il des autres personnes subissant la domination cis
(coquille de rédaction ou terme que je ne connais pas ?) masculine, soit les personnes queers, non binaires, genre fluide et
les hommes trans ? Nous devons militer pour l’élargissement du
sujet politique du féminisme ».
Sans doute cette personne a-t-elle raison de tenir pour politique le féminisme et de vouloir l'élargir à d'autres. Mais devant un tel afflux de désignations classificatrices des désirs humains, j’aurais tendance à
répondre : « même pas peur ! » Or je n'en suis pas sûr : une nomenclature aussi chargée m'effraie à coup sûr plus que les espaces infinis laissant sa chance au vide, à l'aléatoire et à l'inconnu.
Mais il y a pire : lu ce jour d'hui dans un autre blog, tenu par un homme à qui les plaintes déposées contre G. Miller ont ouvert les yeux, à ce qu'il dit. (Je dirais pour ma part que ça l'a autorisé à exposer publiquement la condition pécheresse qu'il revendique). Voici le début de son texte, je n'ai pas lu le reste, souhaitant à ce monsieur qu'il puisse rejoindre dans les pays où cela se pratique sérieusement un groupe de flagellants :
"...Aucun homme, même 'allié' en apparence (c'est de Miller dont il parle, allié en quoi ?) n'est digne de confiance. Aucun. Le temps de peser et penser tout ça. De réfléchir sur le monstre hideux patriarcal et violent qui vit -aussi- en moi..."
On voit que la chasse aux sorcier.e.s a un bel avenir puisque les sorciers jouissent des coups de balai qu'ils s'infligent... car je doute que ce monsieur ait commis de bien grands crimes, peut-être a-t-il injurié sa maman ou giflé son petit ami - ce qui est très mal (ou trop mâle), vous en conviendrez - mais grâce à lui Eve n'est plus seule à porter le péché originel : elle avait goûté au fruit de la connaissance (de soi-même ?), Lui a succombé à sa propre Révélation et ne peut dès lors avoir confiance en aucun homme. Il devra souffrir ad æternam d'être ce qu'il est. (Ô joie de la chair meurtrie, sacrifiée et dolente : "Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir mais dis seulement une parole, etc...")
Cela me fait ressouvenir du personnage de La Gloïre dans l'arrache-coeur (de Boris Vian), pharmakos qui patauge dans un égout pour absorber les péchés de la cité, ou quelque chose d'approchant. Il y aura hélas toujours de zélés jusqu'auboutistes pour transformer une juste lutte (ou cause : le mot "lutte" pourrait cliver) en championnat de repentance.
J'invite enfin à lire ma pièce Dazibaos, qui traite précisément des violences faites aux femmes et intrafamiliales (et de leur dénonciation) pour lever le moindre doute sur cette question de fond qui risque de s'appauvrir en pensée à la mode.