Comme les grenouilles de la fable (La Fontaine, III, 4) les françaises et les français attendaient depuis deux mois et demi un gouvernement.
Défaite électorale imprévue, prétexte d'une trêve olympique puis paralympique, consultations inutiles mais interminables : le Président avait mis sept semaines avant de nommer un premier ministre, sept semaines pendant lesquelles le gouvernement démissionnaire ( dès lors incensurable) issu des partis vaincus avait continué à prendre des mesures politiques. Puis le premier ministre enfin nommé avait pris le temps de consulter largement. Un premier choix avait été refusé par le Président. La seconde équipe proposée fut la bonne.
Les élections provoquées par le Président avaient entériné sa défaite et celle du parti de droite traditionnel, à savoir LR, Les Républicains. Elles avaient placé en tête une coalition de partis de gauche et, en seconde position, un rassemblement d'extrême-droite. Curieusement, le premier ministre nommé n'appartenait pas aux groupes vainqueurs mais aux Républicains qui n'avaient que 46 députés sur 577. C'était la première fois que dans une prétendue démocratie, on demandait aux partis les plus faibles de s'entendre pour gouverner. Le régime restait-il encore (un peu) démocratique ? Ou totalement illégitime quoique légal ?
Toujours est-il que les ministères finirent par être pourvus, il y en eut même deux de créés, ce qui portait à 40 le nombre de ministres et secrétaires d’État : une jolie brochette de perdants au pouvoir.
Tous les budgets sont prévus en baisse sauf celui de la Défense : notre pays dont les services partent en déréliction depuis pas mal de temps doit se défendre coûte que coûte. C'est sans doute pourquoi un des deux ministères nouveaux est celui de "l'Intelligence Artificielle".
Je suis très ignorant quant aux arcanes des logarithmes et compilations de données qui constituent ce qu'on appelle ainsi. Mais je sais que dans notre langue, le terme "intelligence" n'a jamais désigné une somme de renseignements, d'informations. L'intelligence, dans notre langue, est une faculté complexe et discutée de comprendre, avec toutes les nuances que comporte ce terme. Pour les un.e.s, ce sera une capacité de raisonnement rapide et sure, pour d'autres, des connaissances approfondies, pour d'autres encore, une fine perception d'autrui, ou de l'environnement, ou de nous-même dans ce vaste ensemble. Au total, et quel que soit le principe sur lequel on se fonde, cette intelligence a quelque chose à voir avec la capacité de réflexion et d'adaptation dans un milieu vivant - adaptation qui n'exclut pas, si besoin, une volonté de résistance : ce serait la conséquence réfléchie des liaisons que nous établissons avec ce qui est ou ce qui a été, ou encore l'hypothétique, l'envisageable, l'imaginaire...(inter legere / choisir (discerner) entre).
Or ce qui ressort dans la formation de ce gouvernement, c'est l'aveuglement volontaire (Œdipe se crevant les yeux devant l'abomination qu'il découvre en lui) face aux conséquences réfléchies des élections provoquées par le coup de tête (et de dés) présidentiel. Rien d'intelligent là-dedans, mais beaucoup d'artifice : comportement artificieux, d'artificier ? Propre à mettre le feu aux poudres ?
Devant la transformation de la première démocratie au monde (Liberté - Égalité - surtout Fraternité) en autocratie, il devenait logique et urgent de procéder à une attaque sur l'Intelligence : transformer l'esprit d'examen en outil de contrôle officiel et étatique.
Une secrétaire d’État (Mme Clara Chappaz - que mon correcteur orthographique me somme d'ajouter au dictionnaire) d'un gouvernement illégitime est désormais chargée de cette mise au pas.
Quel effet cela peut-il faire de se connaître (s'éveiller chaque matin, prendre conscience de son corps et mettre le costume de sa fonction, se penser) en tant que secrétaire à l'intelligence ? Vit-on dans un état artificiel ? Un vertige me prend devant cet abîme...
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