Le 12 novembre 2025
J’ai renoué depuis l’an dernier avec des spectacles et même un bonnement au T.N.P. où j’avais dans ma jeunesse fait tant de belles découvertes : Peer Gynt mis en scène par Chéreau, Les Céphéides de J-G Bailly montées par Lavaudant, et Pinter, Pina Bausch, le Piccolo Teatro de Strehler et tant d’autres.
J’en suis cette saison à mon deuxième spectacle : ce fut d’abord une adaptation vertueuse de « Manières d’être vivant » de Baptiste Morizot. Intérêt certain de la découverte pour qui n’aurait pas lu l’ouvrage du philosophe, sinon c’était une recherche de théâtralisation d’une pensée, d’hypothèses, il était évident qu’avec la meilleure volonté du monde il ne s’agissait de théâtre qu’à grand’ peine.
Hier, j’ai vu « le sommet », spectacle d’un metteur en scène fameux en Europe, le suisse C. Marthaler. Je me réjouissais de découvrir enfin un spectacle réalisé par un artiste dont beaucoup se réclament. 6 personnages (en quête de langage?) sont réunis dans un chalet de montagne où tout est prévu pour leur séjour mais où plane également une surveillance de chaque instant. Ils viennent de lieux, de pays différents. Le prospectus de présentation indique qu’ils peinent à se comprendre, or ce n’est pas ce qui ressort du spectacle puisqu’ils chantent ensemble, échangent complaisamment certains propos ou borborygmes. La scénographie tient une place fondamentale, puisque dès l’arrivée des personnages (dans une sorte d’ascenseur en fond de scène qui est plus un monte-plats capricieux à la Pinter), puis au fil des séquences, ce sont des gadgets du chalet (haut-parleur dans un placard, téléviseur masqué, malle aux costumes...etc) qui vont donner lieu à des scènes jouées. Le tout accompagné de musiques, un rock fameux, sinon des airs d’accordéon évoquant fortement les montagnes suisses ou tyroliennes, sans copier tout à fait les airs alpins yodlés. C’est un principe du spectacle : on y est sans en être. Par les divers langages et des accessoires (écharpe tricolore par exemple) les personnages pourraient représenter les politiques rassemblés lors d’un « sommet », ici G6 plutôt que G7 à Davos...mais ça évoque aussi des émissions de télé-réalité où des épreuves attendent les candidats dans un lieu clos où on les voit en permanence. Dans ce décor impeccablement fonctionnel pour les gags prévus, il ne se passe pratiquement rien : on se change, on se couche, on se lève, on conduit des actions sans suite, tout comme les relativement rares paroles sont sans suite véritable. Il y a pourtant dans ces morceaux de texte des beautés qui passent, d’autres moments où les mots sont traités comme une partition musicale. Il arrive que ce soit drôle, mais ce n’est visiblement pas une constante ni un propos délibéré. On se demande d’ailleurs quel est le propos délibéré, et j’ai alors repensé au spectacle « Le jardin des délices » qui avait il y a deux ans inauguré le retour du festival d’Avignon à la carrière de Boulbon : une poignée de personnages perdus quelque part, faisant des trucs sans suite et disant parfois de très belles choses empruntées à Shakespeare ou Dante, sans lien aucun avec le reste.
Hier soir, c’était un peu pareil dans le huis clos de ce chalet technico magique, face ouverte sur le public comme un jouet d’enfant où l’on place les accessoires et les silhouettes.
J’ai doublement apprécié de n’avoir payé que 30 euros pour deux places alors qu’en juillet au festival d’Avignon, le même spectacle à La Fabrica revenait à 35 euros la place. Car le spectacle créé à Vidy-Lausanne (le théâtre de Suisse à vocation culturelle mondiale) a déjà tourné dans les hauts lieux de la Culture européenne et est appelé à poursuivre sa tournée internationale dans les salles qui assurent la reconnaissance au plus haut niveau. On ne manquera pas de disserter largement sur la place de l’onirisme, du surréalisme, du travail au plateau, sur le rôle des corps instrumentalisés au même titre que les mots mais jamais érotisés,
Mais si la touche Marthaler (apport musical et technique dans la création, sens de l’absurde en particulier au sein d’un collectif) a depuis 40 ans été porteuse d’un esprit inventif, je n’ai vu hier aucune nouveauté, éprouvé aucune surprise et, à part un fou rire nerveux qui m’a pris quelques instants (lors d’un concert d’onomatopées), je suis resté de marbre à cette succession d’épisodes assez plats remarquablement orchestrés.
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