12 décembre 2025
J'ai initié il y a deux ans, dans la rubrique "chronique des actus", une série de compte-rendus appelés "Pour Mémoire" où j'ai noté les faits dont j'avais connaissance et qui me paraissaient importants quant à la direction qu'ils donnaient à l'avenir. Je reprends ici à titre d'article le terme actuel de cette série de compte-rendus.
Peut-être les reprendrai-je un jour, mais en attendant l'actualité m'étouffe et me noie : je ne peux continuer de rendre compte des abjections de chaque jour, tant les énormes monstruosités des gouvernants que les petites vilenies dont se glorifient les petites frappes qui se voudraient justiciers mais ne sont que les serviteurs du ressentiment.
Voici donc ci-dessous, peu avant la fin de l'année 2025, la fin de cette rubrique.
12 décembre : voici plusieurs jours et semaines que je ne tiens plus cette chronique avec constance. La raison principale me paraît être une lassitude, un découragement devant l’évolution des choses. De tous côtés on nous parle de guerre comme si elle était imminente, comme si surtout rien n’était possible pour l’éviter. Une fois encore TINA, maîtresse exigeante de nos souffrances imposées, domine : il n’y aurait pas d’alternative. Mais quelle serait la cause de cette guerre nouvelle ? La seule réponse fournie peut se résumer en deux mots : « les méchants ». Et c’est parce que les méchants sont méchants qu’il convient de leur faire la guerre (préventive au besoin) pour échapper à leur emprise. Raisonnement tautologique qui peine à prouver la méchanceté des méchants. Certes la Russie agit secrètement pour semer la zizanie dans les consciences européennes, en intervenant sur les réseaux sociaux et autres facteurs d’opinion. Mais est-ce suffisant ?
En France, la gauche se disloque, qui seule permettrait de relever la tête par rapport aux injustices criantes. Les médias poussent à la criminalisation de LFI qui demeure le seul mouvement conséquent ancré socialement : les gauchistes gauchisent, le PCF a dévissé depuis longtemps malgré la ténacité de ses militants de base, les verts résistent aux calomnies mais à quel prix et pour combien de temps, quant au P.S. il multiplie les trahisons funambulesques et accentue sa chute morale. Même le budget 2026 parvient à fracturer la gauche une fois de plus.
La presse à la botte s’apitoie sur le sort de l’ex-président Sarkozy condamné dans plusieurs affaires, comme s’il était victime d’un complot des gens de loi. Or tous les faits prouvés montrent à l’évidence que c’est bien lui et ses comparses qui ont enfreint la loi, et plus particulièrement fait alliance, pour obtenir frauduleusement un financement de campagne, avec un État terroriste responsable de la mort de près de 200 personnes dans l’attentat de Lockerby : peu importe, il serait la victime de la « République des Juges ».
Il n’y a qu’aux USA que les outrances et les apparentes incohérences de Donald commencent à lui jouer des tours : deux élections partielles perdues, la mairie de New-York et surtout celle de Miami (du jamais vu) ont basculé dans le camp démocrate qui s’ébroue. Mais les argentins plébiscitent Milei qui les affame. En Espagne, seul pays d’Europe demeurant dans une certaine honnêteté démocratique, c’est Vox (rejeton de la mémoire franquiste) qui double ses voix. Au Portugal également. Les condamnations des malversations des leaders d’extrême-droite ou de leurs nervis sont traitées par nombre de médias comme des atteintes à leur liberté. Et lorsqu’eux-mêmes détruisent des devantures, des librairies, ou harcèlent sur les réseaux dits sociaux des femmes, des immigré.e.s, des adversaires politiques, ou dressent des guet-apens contre des personnes trans ou queer, c’est au nom de valeurs intangibles et supérieures qu’ils érigent en loi le désordre qu’ils causent et instaurent la terreur par la menace.
Nous en sommes là. Comme l’écrivait Aragon aux heures sombres de notre Histoire, sous l’occupation nazie, c’est minuit en plein midi. Ainsi un parti co-fondé par un ancien de la waffen SS est-il admis dans « l’arc républicain », pure invention fantomatique d’une entité sans existence concrète, appartenance refusée aux pacifistes écologistes des soulèvements de la Terre, d’acteurs de l’environnement et de mouvements situés à gauche de notre Assemblée, curieusement expulsés du fameux arc. Si ce sont les émules d’anciens nazis qui décident de qui doit ou non appartenir à notre République, que reste-t-il dès lors de ses valeurs fondamentales et de sa substance ?
À peu près rien : l’égalité est un vain mot, comme le montre le traitement de l’affaire Sarkozy ou l’interdiction d’évoquer en chaire, ou dans la presse, les 50 000 enfants palestiniens morts et les dizaines de milliers affamés, mutilés). La fraternité dans ces conditions est passée à la trappe depuis longtemps. Quant à la liberté, elle n’est plus conçue que comme celle de commercer. Encore est-elle contrainte par les foucades de tel dirigeant états-unien ou autre libertarien.
Si encore ces vilenies permettaient de mieux vivre matériellement ! Ce serait malhonnête, honteux, salaud, mais quelque part profitable. Or des collèges en sont à devoir choisir entre le budget pédagogique et le budget chauffage, des étudiants entre repas et logement,...pendant le temps où double ou triple la fortune de certains milliardaires. Qui rachètent les organes d’opinion et la fabriquent.
Nous ne vivons plus seulement un « temps déraisonnable » (« ...on avait mis les morts à table / on prenait les loups pour des chiens... ») mais épouvantable où l’oppression est permanente.
On entend que ce sont les valeurs des Lumières qui s’effondrent. Sans doute. Mais il se trouve aussi que ces valeurs puisaient leurs sources dans l’Antiquité, et dans l’Humanisme des siècles passés. Cette France dont les très droitiers représentants se font les hérauts jusqu’à noyer les armes à la main celles et ceux qui viendraient à la désirer, cette France qu’ils veulent judéo-chrétienne et gréco-latine, a plongé ses racines dans ce vieil humanisme aujourd’hui bafoué. Précisément bafoué par ceux qui s’en disent les chantres, qui nous rebattent les oreilles avec l’Europe chrétienne, veulent bouter les musulmans hors de France comme hors du saint sépulcre à Jérusalem, pensent le monde en termes de croisades sans se rappeler que l’occident tient son progrès de celles et ceux qui au fil des siècles ont su traduire et relier les savoirs des hébreux, des grecs, des arabes, des latins puis des peuples d’orient.
Au lieu de quoi ces démons ordinaires (l’étymologie grecque de « daïmon » renverrait à ce qui divise) nous veulent uniformes et dociles, haineux envers toute différence.
Vers quoi dès lors se tourner ? Il y a bien entendu les multiples actions de terrain où l’on se retrouve sans cesse en pays de connaissance, entre soi, entre camarades. Il y a les partis et mouvements encore à gauche et vilipendés jour après jour, calomniés pour qu’ils servent de repoussoir : faut-il dès lors clamer (même si cela ressemble à un geste de révolte romantique un peu juvénile) qu’on est fièr.e de faire partie de ces damnés ? Non plus forcément les damnés de la terre, les forçats de la faim mais les Cassandre ? Les inquiétants lanceurs d’alerte ostracisés auxquels trop de nos gentils et sympathiques voisins préfèrent pourtant la pensée dominante ?
C’est bien fatigant. Et si mes concitoyen.ne.s préfèrent croire le premier mensonge venu, parce qu’il est largement répandu, plutôt qu’une enquête fouillée et documentée, à quoi bon insister ? S’ils tiennent tant et si nombreux à la pensée unique dont on les gave en continu, à quoi bon répéter nos inaudibles vérités ?
Car les vérités importent peu. Les éléments factuels sont devenus la portion congrue de l’information. Ce qui est privilégié, ce sont les opinions, les réactions, les infinis commentaires suscités par les faits et non les faits eux-mêmes. Les milliers de morts en Méditerranée importent peu face au « prix qu’il faut payer pour se défendre contre le grand remplacement ». Les centaines de milliers de gazaouis morts les blessés les orphelins les mutilés ne comptent guère face aux « attaques inhumaines perpétrées par les terroristes » - en l’occurrence du Hamas.
Où faire entendre les faits d’une voix sereine ? Où chercher à établir les faits sans prendre parti a priori ? Où apprendre calmement sans subir de menaces ni d’interdits ?
Groupons-nous….groupons-nous… ?
Oui mais comment et surtout : où et comment trouver les véritables autres avec qui se grouper ? Où et comment parler à nos frères différents, à nos sœurs différentes afin qu’iels nous entendent, et que nous puissions nous rejoindre fraternellement ? Où et comment dépasser le silence assourdissant des discours convenus et des idées trop bien reçues pour qu’émergent enfin de réelles solidarités ?
Aporie pour l’instant devant ces questions primordiales.