31 Janvier 2025
I
– Passage de janvier
C’est
aujourd’hui le dernier jour de janvier 2025.
Le
mois de janvier m’a toujours été le plus difficile de l’année.
J’ai appris récemment que, si la nuit la plus longue est bien
celle du solstice d’hiver, les jours recommencent à augmenter le
soir dès après le 15 décembre. Par contre, ils continuent à
diminuer le matin jusqu’au 10 janvier environ si bien que la nuit
dure en janvier plus tard qu’auparavant.
Je
me souviens des matins froids où je rejoignais le lycée (alors dès
la 6ème) sur les trottoirs glacés. Jusqu’à 8 heures et au-delà
il faisait encore nuit, parfois tombait un grésil plus froid que la
neige et dans l’humidité les réverbères diffusaient un halo
tremblant comme s’ils étaient eux—mêmes saisis par le froid.
Aujourd’hui encore je vis dans une région où il arrive que le
jour ne se lève pas tout à fait : un brouillard épais
recouvre la campagne et ne se dissipe qu’à la nuit venue. (cf.
Henri Michaux : « nous n’avons qu’un soleil par
mois »…). Même si le mois suivant peut connaître des pics
de froid, on retrouve en février une clarté que janvier ignore. Et
puis cela fait déjà plusieurs mois qu’on est entrés dans la
nuit, le givre, les intempéries de toutes sortes, et la durée qui
s’accroît ajoute au désagrément ordinaire : le renouveau se
fait attendre.
Depuis l'enfance et chaque année, il m'a tardé que janvier s'éclipse et laisse la place à un meilleur temps de vivre. Dans le métier que j'ai plus tard exercé, j'ai également constaté que les enfants de retour de vacances n'étaient pas reposés par Noël et le Jour de l'An et qu'il fallait attendre février ou mars pour travailler de nouveau avec des jeunes en forme, mieux éveillés.
Il
se trouve que cet hiver, chez moi, une tempête a abattu un arbre qui
a endommagé le toit d’un appentis. Le déblayage est fastidieux,
les réparations longues à mettre en œuvre. C’est un janvier
comme les autres, avec ses rigueurs ni plus ni moins pénibles que
d’habitude, mais dont les conséquences néfastes présentent des
inconvénients particulièrement tenaces. Les personnes dont je suis
qui disposent d’un abri, d’un logement convenable, se débattent
avec les coups de vent qui emportent les mauvaises tuiles, abattent
les vieux arbres, ou les pluies qui inondent les caves, les rues et
les rez-de-chaussée. Et pendant ce temps-là, tandis que de plus en
plus de personnes, de familles, dorment dans la rue, les
gouvernements fantoches et minoritaires successifs qui sortent du
chapeau présidentiel taillent dans les budgets nécessaires au
fonctionnement de la société, ne renforçant que les budgets de
défense, de police et les largesses aux grosses entreprises. Est-ce
vouloir la paix que préparer la guerre ? Il semble au contraire
que la guerre soit permanente contre les populations ordinaires qui
souffrent et peinent à se chauffer, se nourrir, se vêtir comme il
faudrait. Cependant les industries du luxe atteignent des ventes
record et rapportent presque autant que les armes. Les objets du luxe
(objets connectés, « intelligents » nous dit-on et
voitures électriques marchant à piles comme les autos
télécommandées de mon enfance) sont d’ailleurs des armes
dirigées contre les populations qui triment pour extraire le cobalt, le coltan,
les terres rares, le lithium et autres matières nécessaires à nos
batteries, populations d’enfants dont l’espérance de vie est
réduite à rien, et l’espérance d’enfance et de bonheur à
moins encore, et ces populations vouées à la misère et à
l’asservissement enrichissent leurs dirigeants qui viennent dans
nos capitales acheter le luxe qui s’y affiche : la boucle est
bouclée.
Janvier
l’obscur s’annonce donc encore plus préoccupant cette année où
la guerre vient d’éclater ouvertement à l’est du Congo, où
l’Europe bascule peu à peu à l’extrême-droite (après
l’Autriche, la Suède et une bonne part de l’Europe centrale,
c’est désormais la droite allemande qui s’associe en partie à
l’AfD), et où en France vient d’être votée la loi la plus
illégitime qui soit : celle de la suspension d’allocations
sur simple suspicion de fraude aux aides publiques.
C’est
passé « comme une lettre à la poste » : depuis le
27 janvier 2025, nous vivons dans un pays (historiquement le pays des
droits de l’homme, du citoyen, de la fraternité sans laquelle la
liberté et l’égalité ne signifient rien) un pays où, avant que
la preuve d’un délit ne soit apportée, une personne peut être
privée de ses droits. Et des ressources qui vont avec. On pourrait
verser cette iniquité à l’épais dossier des absurdités qui
s’empilent dans nos institutions, les encombrent et les entravent.
Mais cela va bien au-delà : en d’autres termes, ça dépasse
le stade de la connerie. C’est à ma (modeste) connaissance la
première fois qu’une loi contourne la loi : qu’en est-il du
conseil constitutionnel ? Comment justifiera-t-il que, dans
l’état de droit (puisque l’état de droit est la raison toujours
invoquée pour se distinguer d’autres nations prétendument
dictatoriales) sans avoir apporté la preuve d’un manquement
quelconque, une autorité (ou organisme ou institution, etc.) s’en
prenne aux ressources qui assurent la subsistance de telle ou telle
personne ?
D’aucuns
objecteront : pendant une durée maximum de trois mois
seulement.
Mais
que devient une personne sans ressources pendant trois mois, et
comment réparer sa disparition, sa mise à la rue ou les autres
conséquences tragiques lorsque la suspicion se sera révélée
infondée trois mois plus tard ? Surtout, sur quelle base
juridique prend-on des sanctions contre une personne suspectée de ?
On
connaît actuellement des entreprises qui ont fraudé le fisc à
hauteur de plusieurs millions. On connaît des personnes qui ont
floué les caisses de l’État. Beaucoup leur est reproché, mais
rien n’est intenté contre elles (les entreprises et les personnes)
tant que la preuve d’un quelconque forfait n’a pas été
entérinée par voie de justice.
Et
l’on va priver de quelques euros du RSA ou d’une alloc un.e
suspecté.e de ?
Les
bénéficiaires d’une solidarité insuffisante (puisque l’impôt
direct ne corrige pas les inégalités de ressources) ne sont pas les
seules victimes des lois iniques et indignes que l’on nous
concocte. Les boucs émissaires redeviennent les étrangers, extra
européens de préférence. Ou roms.
On
dirait que chaque jour apporte son nouveau déni de fraternité et
que, tandis que des acteurs de terrain professionnels ou bénévoles
s’emploient à maintenir une vie possible pour pas mal d’êtres
humains, les dirigeants (élus, ne l’oublions pas, mais en minorité
dans ce pays) s’acharnent à détruire des vies humaines qui, outre
le principe de fraternité, sont celles qui assurent notre avenir.
Ces
immigré.e.s tant combattu.e.s, harcelé.e.s juridiquement et
devenu.e.s la cause de nos maux sont les personnes qui depuis les
temps coloniaux ont travaillé, produit et combattu pour notre pays.
Aujourd’hui encore, ces personnes assurent une proportion variable
mais importante des travaux qu’exige le BTP, l’agriculture
intensive, mais aussi les métiers du soin, de l’entretien, les
services hospitaliers, de voirie, de nettoyage et retraitement de nos
déchets et surplus, etc...Si par malheur ces personnes ont immigré
clandestinement, et que tout moyen de subsistance par le travail leur
est interdit, c’est alors à des travaux tout aussi clandestins
qu’elles sont vouées, confinant parfois à une forme dissimulée
d’esclavage. Enfin, si ces personnes assurent au présent une part
non négligeable des travaux nécessaires à toute la population, à
toute la nation, ce sont leurs enfants qui à l’avenir assureront
la relève de notre population.
Au
lieu d’en prendre simplement et honnêtement conscience, nous
cultivons l’indignité humaine et la sottise socio-économique.
Janvier doit son nom à Janus dieu des seuils qui marquait la clôture
de la morte saison et l’ouverture d’un cycle nouveau. Quelle
ouverture nous apporte janvier 2025 ?
II
– Double face ; digression impromptue quoique opportune sur le
temps présent
Le
dieu des romains Janus est qualifié par eux, parmi d’autres
épithètes, de bifrons c’est -à-dire « à double visage »,
et c’est ainsi que sur bien des effigies (statues, monnaies) il est
représenté. C’est le dieu des portes qui se ferment et qui
s’ouvrent, du passé qui s’éteint et de l’avenir qui naît.
C’est le dieu des FINS et des COMMENCEMENTS : tout un
programme en ce janvier où bien des fins (de régime, de période,
de pouvoirs, de mondes ? d’idéologies, de peuples en
détresse, d’espérances, de luttes, de valeurs, etc.) sont
opposées à autant de commencements, de premiers pas, de renouveau.
Il
se trouve que pour nous aujourd’hui, le double face est un terme de
bricolage, qui désigne un matériau adhésif des deux côtés,
particulièrement utilisé sur les plateaux de théâtre, et les
plateaux modestes en particulier où il rend bien des services. Le
double face est donc un accessoire précieux dans le cadre des
représentations. S’il figurait dans l’Antiquité une incarnation
du Temps qui passe, il pourrait bien aussi figurer pour nous l’idée
d’une hypocrisie : et l’hypocrite sous le masque n’était-il
pas une ancienne désignation de l’acteur ?
Les
acteurs de notre scène apparaissent donc comme des double-face qui
adhèrent de tous côtés à tout ce à quoi ils se peuvent
accrocher, à tout ce qui passe à portée, sans plus d’états
d’âme ni de principes qu’un objet que l’on froisse et que l’on
jette une fois qu’il a servi.
Nous
savons donc ce que nous avons à faire avec ce genre d’hypocrites
qui de notre (modeste) scène occupent le devant – et le centre
prétendu après avoir navigué de cour à jardin, de bâbord à
tribord, de gauche très modérée à droite très extrême.