Mon cinéma de proximité classé "Art et Essai" propose deux films où il est question de campagne, de montagne, de nature et d'élevage.
La ferme des Bertrand est le troisième volet d'un suivi régulier (environ un film par quart de siècle) sur une ferme de Savoie. Je n'ai pas vu ce film car le temps ni ma bourse ne sont extensibles, et les nombreux articles consacrés à la ferme familiale de montagne permettent aisément de se faire une idée de l'évolution de la situation à travers le temps. Les actions paysannes en cours, en stand by ou en jachère, témoignent aussi sur un sujet que l'on commence à moins ignorer. D'autres films comme Petit Paysan (2017) avaient également abordé de l'intérieur ces questions agricoles.
Je me suis donc tourné vers un film réalisé par un autre Bertrand, Jean-Michel, qui passe une bonne partie de l'année dans une cabane construite à flanc de falaise dans le massif du Champsaur (pour situer : entre Gap au sud et la barre des écrins au nord, juste à l'est du sud Vercors...). Altitude de la cabane : 2040 mètres. Titre du film : Vivre avec les loups.
C'est un très bon titre : la question n'est plus de se positionner pour ou contre le loup (de prendre parti dans un débat dont nous n'avons ni les données objectives ni les sensations émotives des gens sur place directement concernés) mais de voir comment l'intelligence humaine peut tenir compte d'un fait d'histoire naturelle et sociale : le retour des loups dans la France contemporaine. Non seulement dans les montagnes de l'est, mais (exceptionnellement encore) en Loire-Atlantique et en Seine Maritime, ou ailleurs.
[Je me permets un bref décrochage pour signaler que, contrairement à ce qu'indique une incrustation à l'écran, le paysage où le loup a été écrasé par la circulation automobile n'est pas exactement Saint-Nazaire mais la rive gauche de la Loire, en face de St Nazaire, exactement la plage de Mindin (on reconnait sans erreur possible la sculpture marine Le Serpent Océan de l'artiste chinois Huang Yong Ping) à St Brévin les Pins dont le maire vient d'être menacé par des nervis d'extrême-droite pour sa trop grande humanité d'esprit envers les étrangers. Il fallait que la mort du loup tombe sur lui ! Mais revenons, si je puis dire, à nos moutons.]
Le film ne déguise rien des carnages que cause une meute - ni des fatigues, impuissances et tristesses que les éleveurs peuvent éprouver. Simplement, il replace la question du loup dans son contexte naturel où l'humain, légitime à préserver ses ressources et sa tranquillité, ne l'est plus à se croire le maître dominateur de la nature : sans quoi ladite nature crève, et lui ensuite, l'humain, comme ce fut (presque) le cas au cours du XXème siècle dans ces régions de nouveau arborées, qui avaient été transformées en désert et terre d'exode. Le film montre aussi comment des pays voisins (l'Italie en particulier -à quelques kilomètres d'où la famille de mon grand-père s'est exilée- transformant en ressource la présence d'une faune "sauvage" et rendant la prospérité à une région déshéritée) se sont adaptés à la présence ininterrompue du loup sans envisager son éradication. Car il ne s'agit pas, comme dans les Pyrénées pour l'ours, d'une réimplantation décisionnelle, mais bien d'un élargissement des territoires de l'espèce : le loup ne pullule jamais, les jeunes se dispersent, nomadisent en quête de nouveaux territoires.
Ce film, à l'opposé de tout angélisme, donne la parole -souvent inattendue - aux chasseurs, aux éleveurs, aux valaisans germanophones comme aux italiens, aux bénévoles urbains et aux jeunes ruraux, c'est un creuset de pensée par l'image, le silence et le verbe, qui ne s'oppose résolument qu'aux braillards.
Un film à montrer à toustes si l'on visait réellement à un progrès de l'humain.
Un film enfin qui croise la notion d'égard envers l'animal, le végétal, bref, la Nature dont nous sommes un élément (les scènes de cueillette de l'ortie et du génépi, comme le partage du jambon sont à cet égard exemplaires) et qui rejoint la pensée d'un philosophe que beaucoup connaissent à présent mais que je n'ai découvert que récemment grâce à une conférence du romancier Damasio (Avignon, cloître St Louis, 2022) : Baptiste Morizot, à découvrir aussi.
Ce que Phileas ne vous dit pas , trop emporté peut-être dans le flot effervescent de ses réflexions tout-à-fait pertinentes - et que je partage - sur ce film " Vivre avec les loups " , de Jean-Michel Bertrand , c'est qu'il est visuellement magnifique , enchanteur même , sur le plan de l'image ... pour quiconque aime un peu sensiblement la montagne dans ses variations saisonnières . Pas une carte postale : on y sent bien le froid de la petite cabane en hiver , on y devine la rudesse et l'inconfort des longs affûts , mais tout autant la tendresse de la forêt qui protège tous ses hôtes sans discrimination ( ... pas comme la jungle urbaine , hein ! ). Mais des cadrages , mais des couleurs , mais des instantanés sur des animaux dont le téléobjectif ménage la sauvagerie ... je ne vous dis que cela ! J'en avais la larme à l'oeil et je rêve de le revoir !
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