lundi 19 février 2024

Daaaaali n'est pas un navet

 
Je craignais que Daaaaali de Quentin Dupieux soit un navet ne reposant que sur la performance d’Édouard Baër, je ne suis donc pas déçu du peu d’intérêt que j’ai trouvé au film. Pourtant c’est pétri de bonnes idées. Tout repose sur les notions d’aléatoire, de réminiscence et de duplication, et le scénario déconstruit, transforme et dément l’illusion qu’il vient de mettre en place. Donc tout est faux : le film est un trompe-l’œil permanent.

C’est une réussite quant à la transposition cinématographique de ce procédé cher à Dali qui, de la miniature au gigantisme, a cultivé l’illusion d’optique et représenté ensemble, avec une extrême minutie, les figures oniriques et les images le plus réalistes.

Ce devrait être une fête. On voit bien que la demeure de Portlligat à Cadaquès est habilement reconstituée sans être Portlligat, que le film s’ouvre sur le genre d’hôtel luxueusement ennuyeux et gigantesque (comme le Meurice rue de Rivoli) qu’a fréquentés Dali mais que l’artiste, tel « Achille immobile à grands pas », apparaît dans une sorte de labyrinthe comme parfois Velázquez dans ses tableaux, on voit bien que les grosses canalisations de béton qui servent de corridor à Portlligat sont de grosses ficelles pour permettre le passage de la vie domestique (maison de bord de mer) à la représentation du rêve (lieu de reconstitution de l’imaginaire, où humoristiquement le cinéaste fait copier le réel au peintre : mais ce réel est une fantasmagorie à la Bosch fabriquée par des figurants devant un paysage de campagne aride qui pourrait aussi bien figurer l’Estrémadure de « Las Hurdes terre sans pain »). Mais à part quelques gags bunuéliens (la soubrette apportant un téléphone débranché ou la même actionnant un « tiropichon » (tir aux pigeons) avec de vrais oiseaux) la monotonie gagne. D’ailleurs, quant on connaît l’endroit, on imagine quel pouvait être l’ennui du couple enfermé là dans l’autocontemplation – l’autocélébration – et la préparation d’obligatoires originalités - chacun dans son rôle.


Est-ce l’effet de répétition ? Est-ce le jeu stéréotypé des comédien.ne.s ? Baër et les autres jouent Dali composant Dali, citant Dali, célébrant Dali. Ils l’interprètent dans les gestes surtout, les poses et les attitudes, sans imiter totalement l’accent de l’original, sans obtenir la raucité de la voix ni la rondeur grasseyante de tout catalan d’Espagne parlant couramment le français – ni même les précipitations du débit qui caractérisaient la parole du maître. L’énigmatique Gala, servante maîtresse de plus d’un surréaliste et muse assumée du peintre, est humoristiquement figurée en duègne quasi muette, cependant obéie à l’occasion. Autre jeu de miroirs et résonances : la métamorphosable Agnès Dumoustiers, qui joue la journaliste censée interviewer / filmer le génie, m’a semblé une double d’Isabelle Huppert dans La Dentellière, beauté aussi neutre et commune face à une Méditerranée aussi factice que l’étaient les moulins à vent dans le film de Goretta. Quel était le métier de cette jeune prolétaire propulsée par l’amour dans un milieu intellectuel qui la détruit ? Ici, dans le film Dali, la journaliste improvisée Judith a été pharmacienne, dit-elle, (Pharmakos / bouc-émissaire?) alors que son mentor producteur (excellent Romain Duris) s’obstine à la vouloir boulangère. On voit bien ici encore l’effet Droste (effet vache qui rit) dans le jeu de références : Dali estimait au plus haut point Vermeer, en particulier La Dentellière, rappelée au moins par l’actrice dans le registre cinématographique, et avait une fascination pour les nourritures, le pain en particulier : on le voit sur la façade de son musée-palais de Figueres, comme dans le pétrissage des seins de la maquilleuse sur le faux tournage du documentaire de la fausse dentellière ex-pharmakos prise pour une boulangère. Références compliquées à évoquer mais montrées par le film très simplement.

 

Il y a ainsi de multiples résonances strictement cinématographiques, comme le personnel coutumier de films espagnols de Buñuel à Saura (prêtre ou évêque, jardinier, servante à tout faire, etc.) sans qu’une toile du maître n’apparaisse à l’écran : est-ce un choix délibéré du réalisateur ou une absence de droits qu’il a fort intelligemment exploitée ? On ne voit à l’écran que des toiles (nombreuses) savamment reproduites, ou maladroites et naïves comme des ex-voto, ou encore allusives à des œuvres originales.


D’où vient que tant de talents, une photo magnifique, des images saisissantes, produisent autant d’ennui – comme le personnage Dali ne cesse de le répéter à son intervieweuse ? Je ne sais pas : peut-être que, comme pour la figure publique de Dali, on se demande quel projet, ou plutôt quelle perspective offre ce film. C’est nourri de références, d’allusions, « d’idées visuelles », et ça ne pétille pas. Les facéties sont plutôt mornes et l’ambiance globalement morose, sans atteindre malgré la mort qui rôde au tragique qu’appellerait la Méditerranée (jamais la mer n’a été autant une « plaine liquide : aequor » que sur les toiles de Dali) ni au burlesque que le personnage titre cultivait.
 
Le mystère Dali reste entier.

2 commentaires:

  1. Mais c'est que ça me donnerait presque envie d'y aller ! Peut-être que le réalisateur a voulu faire éprouver au spectateur l'ennui dont parle Dali ?

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  2. Mais oui ! Allez-y, cher(e) anonyme, d'autant que pas mal de choses (peut-être intéressantes) ont dû m'échapper. Ma critique est plus interrogative que sévère : je m'attendais au pire, au numéro d'esbroufe, il y en a mais ça va bien au-delà. Vers quoi ? Telle demeure ma question. Ne pas chercher un biopic, ni un simple pastiche des élucubrations du maître : il y en a aussi, mais heureusement pas que...
    Même avec des écueils, je préfère un essai inabouti mais curieux à une machinerie cousue de fil blanc...

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