Je craignais que Daaaaali
de Quentin Dupieux soit un
navet ne reposant que sur la performance d’Édouard Baër, je ne
suis donc pas déçu du peu d’intérêt que j’ai trouvé au film.
Pourtant c’est pétri de bonnes idées. Tout repose sur les notions
d’aléatoire, de réminiscence et de duplication, et le scénario
déconstruit, transforme et dément l’illusion qu’il vient de
mettre en place. Donc tout est
faux : le film est un trompe-l’œil permanent.
C’est
une réussite quant à la transposition cinématographique de ce
procédé cher à Dali qui, de la miniature au gigantisme, a cultivé
l’illusion d’optique et représenté ensemble, avec une extrême
minutie, les figures oniriques et les images le plus réalistes.
Ce
devrait être une
fête. On voit bien que la
demeure de Portlligat à
Cadaquès est habilement reconstituée
sans être Portlligat,
que le
film s’ouvre sur le genre d’hôtel luxueusement ennuyeux et
gigantesque (comme le Meurice rue de Rivoli) qu’a fréquentés Dali
mais que l’artiste, tel « Achille immobile à grands pas »,
apparaît dans une sorte de labyrinthe comme parfois Velázquez dans
ses tableaux, on voit bien que les grosses canalisations de béton
qui servent de corridor à Portlligat sont de grosses ficelles pour
permettre le passage de la vie domestique (maison de bord de mer) à
la représentation du rêve (lieu de reconstitution de l’imaginaire,
où humoristiquement le cinéaste fait copier le réel au peintre :
mais ce réel est une fantasmagorie à la Bosch fabriquée par des
figurants devant un paysage de campagne aride qui pourrait aussi bien
figurer l’Estrémadure de « Las Hurdes terre sans pain »).
Mais à part quelques gags bunuéliens (la soubrette apportant un
téléphone débranché ou la même actionnant un « tiropichon »
(tir aux pigeons) avec de vrais oiseaux) la monotonie gagne.
D’ailleurs, quant on connaît l’endroit, on imagine quel pouvait
être l’ennui du couple enfermé là dans l’autocontemplation –
l’autocélébration – et la préparation d’obligatoires
originalités - chacun dans son rôle.
Est-ce
l’effet de répétition ? Est-ce le jeu stéréotypé des
comédien.ne.s ? Baër et
les autres jouent
Dali composant Dali,
citant Dali, célébrant Dali. Ils
l’interprètent
dans les gestes surtout, les poses
et les attitudes, sans imiter totalement l’accent de l’original,
sans obtenir la raucité de la
voix ni la rondeur grasseyante de
tout catalan d’Espagne parlant couramment le français – ni
même les précipitations du débit qui caractérisaient la parole du
maître. L’énigmatique Gala,
servante maîtresse de plus d’un surréaliste et muse assumée du
peintre, est humoristiquement figurée en duègne quasi muette,
cependant obéie à l’occasion. Autre
jeu de miroirs et résonances : la métamorphosable Agnès
Dumoustiers, qui joue la journaliste censée interviewer / filmer le
génie, m’a semblé une double d’Isabelle Huppert dans La
Dentellière, beauté aussi
neutre et commune face à une Méditerranée aussi factice que
l’étaient les moulins à vent dans le film de Goretta. Quel était
le métier de cette jeune prolétaire propulsée par l’amour dans
un milieu intellectuel qui la détruit ? Ici, dans le film Dali,
la journaliste improvisée Judith a été pharmacienne, dit-elle,
(Pharmakos / bouc-émissaire?) alors que son mentor producteur
(excellent Romain Duris) s’obstine à la vouloir boulangère. On
voit bien ici encore l’effet Droste (effet vache qui rit) dans le
jeu de références : Dali estimait au plus haut point Vermeer,
en particulier La Dentellière,
rappelée au moins par l’actrice dans le registre
cinématographique, et avait une fascination pour les nourritures, le
pain en particulier : on le voit sur la façade de son
musée-palais de Figueres, comme dans le pétrissage des seins de la
maquilleuse sur le faux tournage du documentaire de la fausse
dentellière ex-pharmakos prise pour une boulangère. Références
compliquées à évoquer mais montrées par le film très simplement.
Il
y a ainsi de multiples résonances strictement cinématographiques,
comme le personnel coutumier de films espagnols de Buñuel à Saura
(prêtre ou évêque, jardinier, servante à tout faire, etc.) sans
qu’une toile du maître n’apparaisse à l’écran : est-ce
un choix délibéré du réalisateur ou une absence de droits qu’il
a fort intelligemment exploitée ? On ne voit à l’écran que
des toiles (nombreuses) savamment reproduites, ou maladroites et
naïves comme des ex-voto, ou encore allusives à des œuvres
originales.
D’où
vient que tant de talents, une photo magnifique, des images
saisissantes, produisent autant d’ennui – comme le personnage
Dali ne cesse de le répéter à son intervieweuse ? Je ne sais
pas : peut-être que, comme pour la figure publique de Dali, on
se demande quel projet, ou plutôt quelle perspective offre ce film.
C’est nourri de références, d’allusions, « d’idées
visuelles », et ça ne pétille pas. Les
facéties sont plutôt mornes et l’ambiance globalement morose,
sans atteindre malgré la mort qui rôde au tragique qu’appellerait
la Méditerranée (jamais la mer n’a été autant une « plaine
liquide : aequor » que sur les toiles de Dali) ni au
burlesque que le personnage titre cultivait.
Le
mystère Dali reste entier.
Mais c'est que ça me donnerait presque envie d'y aller ! Peut-être que le réalisateur a voulu faire éprouver au spectateur l'ennui dont parle Dali ?
RépondreSupprimerMais oui ! Allez-y, cher(e) anonyme, d'autant que pas mal de choses (peut-être intéressantes) ont dû m'échapper. Ma critique est plus interrogative que sévère : je m'attendais au pire, au numéro d'esbroufe, il y en a mais ça va bien au-delà. Vers quoi ? Telle demeure ma question. Ne pas chercher un biopic, ni un simple pastiche des élucubrations du maître : il y en a aussi, mais heureusement pas que...
RépondreSupprimerMême avec des écueils, je préfère un essai inabouti mais curieux à une machinerie cousue de fil blanc...