Le temps considéré comme le déroulement de chaque journée, et dans la suite des jours, parait bien long. Considéré rétrospectivement comme la durée qui nous conduit au présent, il est bien court.
Cette formulation pourra sembler extrêmement banale, pourtant c'est une sensation qui distord notre façon de voir, d'envisager l'existence. Quand je mets bout à bout les pas, les gestes du quotidien, les activités multiples et les repos divers dont une journée est faite, quand je fais la somme des regards, des choses vues et des êtres croisés, des paroles prononcées, des projets réalisés, abandonnés, élaborés, des communications établies, des conversations entreprises, éludées ou approfondies, j'ai l'impression que chaque jour tend vers l'infini. Mais un souvenir me vient, de l'enfance ou de mon premier travail, et j'ai l'impression que c'était hier : les années ont passé en un éclair, je n'ai pas vu grandir les enfants et je parle intérieurement à mes parents, ou à des amis, décédés "en cours de route" : mais c'est précisément ce cours de route qui s'est effacé et qui rend si proche le point de départ d'une existence fugace tandis que l'autre, la tortueuse (tortue et tueuse), l'infiniment lente, s'attarde sur le moindre objet, d'un geste couvre l'étendue jusqu'à dépasser l'horizon, et d'un instant fait une épopée.
Avez-vous ouvert un agenda bien rempli, retrouvé après des années ? Il est illisible. Il est muet : aucun des détails qui le peuplent n'est signifiant. Et si, par exceptionnel, on retrouve un nom familier, un événement encore parlant, on s'étonne de l'apercevoir si lointain, dans un temps si reculé, alors qu'on l'avait comme présent à l'esprit. Ce n'est pas une affaire de "madeleine", ce serait presque l'inverse, non un rapprochement où le passé émerge dans le présent (soudaine et complète anamnèse) mais la mesure d'un long temps écoulé, d'un écart que l'on n'avait pas vu passer.
Quelle magnifique écriture ! merci Philippe d'exprimer avec cette beauté nos paysages intérieurs multiples.... certaines allusions me font penser à un film très touchant découvert hier "Sans jamais nous connaître" et aussi le très bel album de Vincent Delerm "Panorama"
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