Un collectif de juristes pour le respect des engagements
internationaux de la France (CJRF) a estimé inconvenante une note du Ministère
des Affaires étrangères.
Cela fait suite aux massacres qui sont en train d'être commis dans la bande de Gaza* et à la mise en garde, ou plutôt l'injonction faite à Israël par la CIJ de tout mettre en œuvre pour éviter un génocide envers la population palestinienne de ce territoire. La note ministérielle indiquait : "La France annonce vouloir rappeler à la Cour [Internationale de Justice] que le crime de génocide nécessite l'établissement d'une intention".
Outre son ton présomptueux, ce rappel ne tient pas compte des déclarations répétées de plusieurs ministres israéliens présentant les gazaouis comme des "animaux humains" et Gaza comme un "problème à éliminer" (sauf écart de traduction), déclarations répercutées sur l'ensemble des médias. De fait, ces déclarations sont claires, et sans l'intention d'éliminer une bonne part de la population, d'en éradiquer aussi sa culture, on comprendrait mal la multiplication des frappes depuis plusieurs mois sur les objectifs civils, en particulier les centres de soins, de culture et d'apprentissage, de même que le regroupement de la population dans la partie sud du territoire.
Certes, c'est l'attaque surprise du Hamas tuant un millier d'israéliens et l'indigne prise d'otages (dont 110 ont été libérés fin novembre) qui l'a accompagnée qui a déclenché la riposte militaire, et non une volonté d'extermination déclarée au préalable. Mais il est vrai également que le blocus établi depuis des années sur la 'bande' prend en otages (tout aussi indignement) les deux millions de gazaouis dans le courant même de leur vie quotidienne, puisque tous les approvisionnements extérieurs (vivres, énergie ou médicaments entre autres choses) dépendent directement de la volonté de l’État d'Israël. L'enfermement de la population sur le sol du territoire où elle survit ne fait aucun doute.
Dès lors, l'objection, voire la remontrance faite à la Cour de Justice par notre Ministère soulève une curieuse remarque : le terme "génocide" relèverait-il d'un monopole ? Est-il inscrit dans notre inconscient que l'épouvantable Shoah doit seule mériter ce terme pour les siècles des siècles ? Faut-il par des arguties toujours plus vétilleuses faire obstacle à l'emploi du mot juste, lorsque ce n'est pas le peuple juif qui est victime de l'extermination ?
Nier que, faute de déclaration d'intention en bonne et due forme, le regroupement d'une population dans un secteur bombardé à outrance et sans moyen d'approvisionnement présente un risque de génocide, est-ce soutenable ? Est-ce seulement raisonnable ? N'est-ce pas aussi aberrant que le négationnisme ? N'est-ce pas fermer les yeux sur les risques encourus par de nouveaux boucs émissaires ?
La Cisjordanie, quant à elle, n'est-elle pas transformée en une série de shtetls où des pogroms d'intensité variable peuvent être perpétrés, périodiquement, à l'abri des murs dressés dans les territoires occupés, pour les séparer de l’État voisin ou pour protéger les colonies établies et les terres confisquées ? Hameaux, villages dont la sortie ou l'entrée est soumise à des contrôles comme jadis ceux des ghettos ? Heureusement, de par le monde, nombreuses sont les personnes juives qui s'élèvent contre cette transposition de modèles qu'on croyait révolus.
L'observation pédante de notre Ministère ne tient pas compte de cette intelligence humaine et lui substitue un esprit procédural tatillon : les victimes ont-elles été prévenues dans les formes qu'elles allaient être exterminées ?
Les Africains mis dans les cales des navires durant les siècles passés ont-ils signé des contrats d'esclavage assez clairement formulés, ou n'ont-ils pas été de réels esclaves par défaut d'information ? Ne sont-ils pas morts dans les cales, ou du fait des abus de leurs "maîtres", faute d'un alinéa suffisamment précis ?
Le fait d'être réduit à une condition animale et parfois d'en subir le nom dégradant (rat puant, cafard,,...etc) constitue-t-il une déclaration suffisamment claire dans la phase qui précède une extermination ? Faut-il recourir à l'expertise de "la radio des collines" (Rwanda) pour s'en assurer ?
Est-ce au Ministère des Affaires étrangères de France de donner la leçon aux sages du monde entier, pour décider quels mots permettent seuls de valider une action génocidaire ?
Doit-on établir une liste permanente des peuples génocidés, de 1 à X, qui exclurait à jamais les futures victimes de futurs massacres ?
Au moins serait ainsi résolue la question de vocabulaire : un génocide relèverait par définition du passé, en ajouter un nouveau aujourd'hui relèverait du complot contre l'ère de progrès que nous traversons.
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(*) : 1948 : auto-proclamation de la naissance de l’État d'Israël, suivie d'une guerre civile avec la population palestinienne expulsée (plus de 700 000 personnes) élargie jusqu'en 49 aux pays arabes voisins. L’Égypte du roi Farouk refusant d'accueillir les expulsés, les accords de Rhodes conclus par Israël et ses voisins créent autour de Gaza (250 000 habitants alors) une bande territoriale où les déshérités en fuite sont rassemblés.
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